Après une longue pause, je reprends mon blog en interviewant l’une des personnes les plus inspirantes que je connaisse : Dieudonné Cirhigiri, un professionnel chevronné de l’aide humanitaire et du développement de la République démocratique du Congo (RDC).
Parmi ses nombreuses réalisations, Dieudonné est le fondateur de VETO, une organisation non gouvernementale (ONG) locale axée sur la sécurité alimentaire, l’agriculture et la protection de l’enfance. Il a également récemment commencé à travailler avec l’Institute for Strategy and Complexity Management, un organisme de recherche qui aide les gouvernements et les chefs d’entreprise à prendre de meilleures décisions. Dieudonné a accepté de devenir le Directeur général de l’Institut pour la RDC « afin de donner un peu de soutenabilité à nos activités », et nous réfléchissons ensemble sur son expérience de la coopération au développement au cours des décennies.
Comment as-tu commencé à travailler dans la coopération?
D’abord, j’ai commencé par la formation, j’ai fait le grand séminaire, un service orienté pour le service aux populations. Il est resté dans mon esprit de ne pas ignorer la souffrance des gens. Le deuxième pas, ç’a été ma formation en sciences biomédicales, qui m’a mis toujours en contact avec les gens qui ont besoin d’aide. Après trois ans d’études biomédicales, un principe s’est incrusté dans l’esprit: “You must be there for people”, tu dois être là pour les gens.
En 1994, des enfants très nombreux ont fui à Bukavu venant du Rwanda. Sur ma véranda il y en avait deux qui ne savaient pas ou étaient leurs parents. C’était ça le détonateur de mon action. Il a fallu choisir très vite entre sauter et oublier ou se pencher pour tendre la main et s’engager.
Des amis de la Croix Rouge Internationale sont venus pour chercher de la nourriture, moi je l’avais comme directeur du centre agricole. On a fait un échange, Food for Child care. On a travaillé corps à corps et cœur à cœur, sans accord formel, chacun déployant les activités qu’il pouvait. J’en suis arrivé à utiliser mon argent pour construire un centre d’accueil pour orphelins et autres enfants non accompagnés.
Parle-moi de ton expérience avec les ONG et agences internationales. Y a-t-il des éléments communs entre les deux ou des recommandations que tu veux leur donner?
Les ONG et les agences internationales ont ceci de beau et en commun « leur prise en compte et en charge des problèmes des gens. » Elles ne les ignorent pas. Au contraire, elles les connaissent et s’en chargent à bras le corps. Est-ce que la motivation est personnelle, professionnelle, politique ou commerciale ? Peu importe. Le fait commun et palpable est que toutes vont à la rencontre des autres dans le besoin.
Il faut fédérer les ONG locales, les ONG internationales ont un style de travail qui n’est pas encore acquis par les ONG locales. Nous avons besoin des ONG comme CARE pour les questions d’ordre technique, de gouvernance, de provision de main d’œuvre… in Africa we have time, you (ONGs) have watches. (En Afrique, nous avons le temps. Vous, les ONG, vous avez les montres). Il faut capitaliser sur cette expérience de gestion et documentation.
Parlant d’approche, je vois aussi une faiblesse commune à toutes les agences. Celle-ci est liée à la fragmentation artificielle des objets et des cibles de leur activité, pour des raisons de commodité administrative ou de choix/mandat programmatique, alors que les problèmes sont vécus simultanément, partout et par tous, bien qu’à des niveaux différents. Cette fragmentation est, en fait, obligée par la disponibilité de ressources financières et/ou de personnel. Ainsi, certains s’occupent de GBV (violence basée sur le genre), de la protection des enfants, de la provision de nourriture ou de soins médicaux etc. On ne peut pas s’occuper de tout mais c’est une faiblesse d’ignorer les autres façades de la même monnaie.
Aussi, nous ne sommes pas proactifs, nous réagissons aux conséquences néfastes d’une histoire personnelle ou nationale que nous n’avons ni fabriquée ni anticipée, apparaissant ainsi à l’opinion comme des sapeurs-pompiers pour des feux qui naissent et renaissent à chaque tournant.
On ne peut pas tout résoudre maintenant. D’où la question qui se pose parfois ironiquement à toutes les agences: «EST-CE QUE VOUS AVEZ RESOLU LE PROBLEME ? »
En réalité, il n’y aura pas de solution finale (parce que l’histoire continue) et même pas non plus de solution locale tant que nos actions n’incluront que peu ou pas les institutions locales et les acteurs locaux (qui vivent au cœur des communautés) et les ministères d’État, qui ont la charge et la capacité de répercuter les solutions proposées à tout le pays.
Ainsi seulement un véritable « Plan National » de développement, de protection, d’éducation, de soins de santé ou d’infrastructures etc. » peut être mis à jour avec des étapes et des indicateurs qui permettront au gouvernement d’en dégager des lois, de demander et fournir des comptes aux agences et inversement, au lieu de continuer à réagir quand et seulement parce qu’il y a eu un problème.
How long shall we go (combien ça va durer)? Ne voit-on pas à ces improvisations et à ces éternels recommencements un cruel gaspillage de ressources et de bonnes volontés? Où et comment se souvient-on du sacrifice de nombreux agents humanitaires qui s’usent ou meurent à la tache ? Il faut absolument cristalliser leur temps et leurs activités en des institutions locales qui poursuivent et même améliorent les résultats actuels du travail. Il faut aussi demander au gouvernement de la redevabilité, qu’on demande au gouvernement un rapport et des dispositions juridiques qui garantissent et protègent le travail humanitaire.
Je peux personnellement montrer un hôpital, un centre d’accueil pour enfants non accompagnés, un centre agricole et bientôt une université qui résultent du travail accompli. Combien d’autres ONG peuvent montrer la trace matérielle et juridique de leur présence sur le terrain ?
Eh bien, pour faire œuvre utile et durable, l’approche doit être repensée pour que la meilleure aide humanitaire soit de progressivement et solidairement supprimer le besoin de toute aide humanitaire. Sinon, on tourne en rond et, à la longue, on se contredit.
Par rapport à ton expérience avec VETO, quelles sont tes leçons apprises et recommandation aux autres acteurs locaux?
Première leçon: s’assurer de la sincérité et de la correction humaine de leur engagement, sans discrimination ni parti pris et, surtout, sans arrière-pensées. Sinon, « Il n’y a rien à attendre d’une mission fondée sur le mensonge ou des antivaleurs. »
Deuxième leçon: penser et programmer avant et au-delà des opérations d’urgence, qui sont presque toutes de fabrication humaine et/ou des conséquences fâcheuses de politiques politiciennes ou commerciales injustes.
Troisième leçon: identifier et s’en prendre, dans la mesure du possible, aux causes sous-jacentes des crises ainsi qu’aux acteurs actuels des incendies auxquels se convient ou sont conviées les ONG et les agences humanitaires.
Et, parmi les autres leçons apprises, donner la parole et le pouvoir aux pays et aux populations desservis, dans l’identification de leurs vrais besoins vis-à-vis des problèmes structurels et/ou conjoncturels mis en lumière, la définition des plans d’action, l’exécution des opérations envisagées et l’évaluation périodique des résultats comme des nouveaux défis. Bref, former et équiper qui de droit, créer avec eux des opportunités de libération personnelle, communautaire ou nationale.
Concernant les financements, comment les bailleurs pourraient-ils mieux soutenir les organisations congolaises?
Cette question appelle un nombre important de considérations qui peuvent être condensées en ces cinq propositions clefs:
– Sortir d’initiative du schéma défectueux d’assistant à assisté vers celui de partenaires sociaux et économiques, ouvertement gagnant-gagnant et mutuellement intéressés et impliqués à la protection de la paix sociale et à la bonne gouvernance de toutes les affaires en cours et à venir.
– Découvrir la part de la politique, celle de la technique et celle des potentiels humains et naturels existants dans la résolution des problèmes rencontrés.
– Se doter d’un plan de travail mettant au premier plan les bœufs et les voies, avant les charrues, les moyens de la politique avant la politique des moyens, la production des ressources avant leur utilisation…
– Impliquer les communautés locales et les organisations existantes (de la société civile et du secteur privé) dans la mise en place de structures et de mécanismes pérennes de protection et de production de ressources nouvelles pour l’avenir.
– Faciliter et soutenir dans le long terme, la création et le fonctionnement d’une Unité Nationale de Monitoring et de Coordination des Affaires Humanitaires, en mesure d’empêcher la venue de catastrophes, d’anticiper des réponses pertinentes et de les fournir à tous, à temps et pour longtemps ou, tout au moins d’alerter qui de droit parmi les partenaires (gouvernement, les agences humanitaires et les populations), pour appui et action.
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1 Comment
Undoubtedly Mr. Dieudonné Cirhigiri tackles the humanitarian response approaches in developing countries around the main challenges and mostly lasting solutions.